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traces du toucher


2018 - 2020 Série de photographies couleur, impression jet d’encre pigmentaire sur papier baryté contrecollée sur aluminium 80 x 80 cm

Les mains érodent, creusent en les touchant les couches de peintures des rambardes, des balustrades, des mains courantes... Les traces du toucher sont, partout dans l’espace public, l’abrasion d’une surface provoquée par le passage répété des mains. J’ai initié la série de photographies Traces du toucher lors d’une résidence à Buenos Aires en 2017. Dans les parcs de la capitale argentine, les équipements sportifs sont peints à la couleur du parti politique au pouvoir. Lorsque la majorité change, une nouvelle couleur recouvre la précédente. Les couches de peinture, révélées par la pression des mains, peuvent alors être interprétées comme des strates microarchéologiques, dans lesquelles se dévoilent les couches politiques de l’histoire récente de la ville. Depuis, j’ai poursuivi cette série dans d’autres villes, où les couleurs révélées ne sont pas des signes politiques mais pourraient être des peintures abstraites sans auteur. La photographie n’est-elle pas l’inscription d’une image sur une surface par la transformation de celle-ci ? Là où la lumière laisse ses marques, les doigts et la paume incrustent, en négatif, les objets sur lesquels ils se projettent.

Emma Cossée Cruz

Les photographies qui composent la série Traces du toucher exhibent des formes métalliques, droites, courbes ou sphériques. Leurs contours se distinguent immédiatement au travers des couleurs vives qu'elles arborent : couverture lisse et brillante, couches de peintures superposées et posées au pistolet. Au second plan apparaît l'espace urbain, rue, escalier, place publique ou terrain de sport, dans lequel ces formes géométriques se situent, et l'on peut ainsi aisément retrouver les usages qui leur sont assignés : délimitation des espaces, soutien ou entretien des corps. Ces formes contribuent à réguler le langage corporel citadin, elles offrent ou imposent des points de contacts ponctuels, parfois simplement effleurés et d'autres fois fermement pressés. Il s'agit le plus souvent de formes arrondies que la main épouse, enserre, sur lesquelles elle frotte et ripe sans doute également. La répétition de gestes effectués par des mains et des corps anonymes déshabille progressivement les couches de peinture qui couvrent le métal et laisse apparaître ponctuellement sa surface polie. Dans certaines images, la forme régulière des contours des couches de peintures superposées permet d'imaginer l'activité de la main sur l'objet, la répétition d'un geste, le mouvement du corps qu'entraîne le glissement de la main. L'intégrité physique et esthétique de l'objet est ainsi progressivement attaquée par l'intimité des relations que les corps établissent successivement avec l'objet. Les aspérités et les contours des couches de peinture creusées par la main se font à leur tour sentir sous la paume et les doigts d'une main nouvelle, et l'on communie alors, à rebours et le temps d'un instant, avec les milliers de mains qui conduisirent patiemment à la corrosion de la peinture. Loin de l'instantanéité, la photographie montre ici un temps vertical, étiré et indéfini, que chaque toucher creuse et prolonge un peu plus. La répétition des gestes et la succession ininterrompu des corps demeurent suggérées par les traces qui constituent les indices d'une historicité de l'expérience citadine. La photographie de la main d'une sculpture jouit néanmoins d'un statut particulier. Corps touché et image du corps qui touche, elle indexe chaque trace photographiée aux corps et aux contacts qui les ont produites.

Mathieu Corp - juin 2020

Mathieu Corp est docteur en Sciences de l’information et de la communication. Il étudie les rapports entre art et histoire dans les arts visuels latino-américains contemporains et examine les conditions de significations des images eu égard aux discours et aux dispositifs qui les médiatisent. Il a participé à des colloques internationaux et a publié ses travaux dans différentes revues universitaires.